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Le Blog de Maxime ADEL
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9 juin 2022

Relire et traduire le Coran, quelques questions de traductologie. La traduction du Coran. Enjeux et méthodes.

 

Relire et traduire le Coran, quelques questions de traductologie. La traduction du Coran. Enjeux et méthodes.

Intervention de Maxime Adel

ICP (Institut Catholique de Paris) ISTR (Institut de sciences et théologie des religions)

« Relire et traduire le Coran, quelques questions de traductologie.

La traduction du Coran. Enjeux et méthodes. »

Maxime ADEL1

Jeudi 9 juin 2022 – 09h30 – 12h30 (sur zoom)

 

Description du Coran :

Le Coran (probablement du syriaque : « qeryānā », lectionnaire2), le livre sacré des musulmans, paru au VIIe siècle après J-C. probablement dans la grande Syrie est divisé en 114 chapitres (appelés « sourates » [mot hébreu ou syriaque] dont la première est appelée « al-Fātiḥa » [l’ouverture, la liminaire]). Ces sourates sont composées de versets (nommés « āya » [mot hébreu ou syriaque][sens arabe : signe, preuve]). Il y a environ 6200 versets au total (selon la version ou la lecture). Les auteurs du Coran sont peut-être des judéo-chrétiens syriens qui auraient traduit en arabe avec adaptation durant des décennies des textes bibliques araméens et hébraïques non canoniques. Le Codex canonique actuel du Coran est composé de textes décousus choisis à partir de très grand nombre de textes et classés selon la longueur des sourates et non pas selon l’ordre chronologique de rédaction.3

 

Selon la tradition musulmane, le Coran est la parole divine révélée au prophète Mahomet (570-632 J.-C) et compilée en vulgate par le calife ʿUthmān ibn ʿAffān (574-656 J.-C). Le Coran, en tant que parole divine « incréé », vivante et agissante, a un statut proche de celui de Jésus pour les chrétiens. Ainsi, le langage religieux est sacré aussi bien dans le judaïsme que dans l’islam parce qu’il provient directement de Dieu, alors que le langage chrétien n’est que le témoignage de l’authenticité de Jésus.

 

Bien que le Coran se présente à plusieurs reprises comme un livre clair [mubīn, āyāt bayyināt] (versets XII, 1 ; XXII, 16 ; XXVI, 2 ; XXVIII, 2 ; etc.) avec quelques versets équivoques, la tradition exégétique musulmane est extrêmement riche : on trouve plus de 2 200 exégèses (commentaires)4.

 

La traduction du Coran est basée sur les exégèses. Le traducteur et théologien musulman Muhammad Hamidullah (1908–2002) a recensé (dans l’introduction de sa traduction, 1959, 1977) plus de 350 traductions du Coran dont 85 en anglais, 46 en allemand et 36 en français. Cependant, l’Institut européen en sciences des religions (IESR) dit qu’il existe plus de 120 traductions françaises du Coran, dont la plus ancienne est celle réalisée par André du Ryer en 1647.5

 

Problématique de lecture et de compréhension du Coran :

On pourrait classer les difficultés de compréhension du Coran selon plusieurs niveaux :

  1. ambiguïté au niveau des mots et des déictiques (al-qarāʾin القرائن , pronoms, démonstratifs, adverbes) : on peut dire qu’environ 20 % des mots sont difficiles à comprendre même pour les exégètes (l’antécédent des pronoms, les mots d’origine non arabes, les mots rares (hapax), les mots génériques) ;

  1. ambiguïté au niveau des structures, des phrases et des métaphores (ex. : thānya ʿiṭfihi [se rengorgeant] (v. 9) ; fa-l-yamdud bi-sababin ʾilā s-samāʾi thumma l-yaqṭaʿ [n’a qu’à tendre une corde jusqu’au ciel et puis la couper] (v. 15) ; fa-kaʾannamā kharra mina s-samāʾi… [c’est comme s’il dégringolait du ciel] (v. 31) ; yūliju al-layla fī an-nahari wa-yūliju an-nahāra fī al-layli [il fait entrer la nuit dans le jour, fait entrer le jour dans la nuit] (v. 61)) ;

  1. ambiguïté syntaxique liée à la segmentation de la phrase, à la ponctuation : on ne sait pas où se termine la phrase, ni si elle est interrogative, affirmative ou exclamative.

  1. ambiguïté au niveau d’enchaînement des versets. On ne connaît pas le lien logique entre beaucoup de versets.

  1. Ambiguïté au niveau de l’orthographe, liée au rasm ʿuthmānī (le tracé ou le ductus consonantique attribué au calife ʿUthmān) et à l’absence des signes diacritiques. Orthographe ancienne primitive sans points diacritiques, et parfois sans voyelles longues (Des vingt-huit lettres de l’alphabet arabe, seules sept ne sont pas ambiguës), la lecture a posé des problèmes pour les premiers musulmans. Ce qui les a amené à ajouter les points diacritiques et la vocalisation. Ainsi, le lecteur trouve du mal à lire dans le Coran tant de mots orthographiés à la manière archaïque (ex. : (يَبنَؤُمَّ) [Ô fils de ma mère] au lieu de يَا ابْنَ أُمِّي (v. XX, 94) ; (يَسَمِرِيُّ) [Ô Samaritain !] au lieu de يَاْ سَامريُّ(XX, 95) ; (الصَّبِـ‍ينَ وَالنَّصَرَى) [les sabéens et les chrétiens] au lieu de الصَّابِئِينَ وَالنَّصَارَى (v. 17) ; etc. L’absence des signes diacritiques (ḥarakāt at-tashkīl) donne lieu à de différentes lectures, par exemple, au verset XXII, 39, le verbe يقاتلون ( ) peut se lire ainsi : yuqātalūna [ils sont combattus] et yuqātilūna [ils combattent].

  1. ambiguïté au niveau de la suppression et de la répétition, comme la suppression d’un mot ou d’une proposition subordonnée (ex. : la suppression du complément d’objet direct dans les v. XXII, 5 et 15) et la répétition des versets complets (ex. : la répétition du v. XXII, 3 dans le v. 8) ;

  1. Ambiguïté liée aux éventuels écarts (lapsus calami) des scribes du Coran (ex. : « ʿaqīm » [stérile] au lieu « ʿaẓīm » [terrible] (v. 55) ;« yaʿrishūna » [يعرِشونَ] [ils créent un treillage] au lieu de « yaghrisūna » [يَغرِسونَ] [ils plantent] (XVI, 68) ; « bi-khaylika wa-rajilika » [بِخَيلِكَ ورَجِلِكَ] [par ta cavalerie et ta piétaille] au lieu de « bi-ḥyalika wa-dajalika » [بِحِيَلِكَ ودَجَلِكَ] [par tes ruses et tes mensonges] (XVII, 64) selon Ch. Luxenberg6 ; « fa-waylun li-l-muṣallīna alladhīna hum ʿan ṣalātihim sāhūn » [فويلٌ للمُصَلِّينَ الذين هم عن صلاتهم ساهون] [Malheur à ceux qui priant sont distraits de leur prière] (CVII, 4) au lieu de « fa-waylun li-l-muḍillīna… » [فويلٌ للمُضِلِّينَ] [Malheur aux corrupteurs]). Ces éventuels écarts auraient contribué à diminuer la cohérence du texte coranique et à orienter la polysémie vers une autre direction. L’idée que les scribes se trompaient a été déjà évoquée par les anciens théologiens. Selon Aṭ-Ṭabarī, on attribue à ʿĀʾisha, l’épouse de Muḥammad, la réponse suivante à une question sur les erreurs grammaticales dans trois versets : « Ô mon neveu ! C’est le travail des scribes, ils se sont trompés dans le Livre ». Dans le verset 16 ("وكذلك أَنزلناه آياتٍ بَيِّناتٍ وأنَّ اللهَ يَهدي من يريد"), l’utilisation de ʾanna (au lieu de ʾinna) peut indiquer ou bien une erreur de scribes, ou bien une suppression d’un mot juste avant cette particule, ou bien que la phrase ("وأنَّ اللهَ يَهدي من يريد") est tirée d’un autre discours et contexte. Normalement et selon les règles de la grammaire, après Kadhālika كذلك, le Coran utilise ʾinna إِنَّ et pas ʾanna أَنَّ, ex. : ("كذلك إِنَّما يَخشى اللهَ مِن عِبادِه العُلَماءُ إِنَّ اللهَ عزيز غفور") (XXXV, 28).

Verset

Forme ancienne du mot/expression

Forme actuelle avec points diacritiques

Forme moderne

Traduction

XX, 94

يَبنَؤُمَّ

يَا ابْنَ أُمِّي

Ô fils de ma mère

XX, 95

يَسَمِرِيُّ

يَاْ سَامريُّ

Ô Samaritain !

XXII, 17

الصَّبِـ‍ينَ وَالنَّصَرَى

الصَّابِئِينَ وَالنَّصَارَى

es sabéens et les chrétiens

XXII, 39

يُـقَــاتَــلُــونَ

yuqātalūna (passif)

(qui peut aussi se lire ainsi :يُـقَـاتِــلُونَ « yuqātilūna » (actif))

يُـقَــاتَــلُــونَ

يُـقَــاتِــلُــونَ

 

ils sont combattus / ils combattent

XVI, 68

يَــعـْـرِشُـونَ

yaʿrishūna



(qui peut aussi se lire ainsi :يَغرِسونَ « yaghrisūn »)

يَــعـْـرِشُـونَ

يَغرِسونَ

ils treillagent / ils plantent

XVII, 64

بِخَيلِكَ ورَجِلِكَ

« bi-khaylika wa-rajilika »

(qui peut également se lire ainsi : بِحِيَلِكَ ودَجَلِكَ « bi-ḥyalika wa-dajalika » (lecture de Luxenberg7)

بِخَيلِكَ ورَجِلِكَ



بِحِيَلِكَ ودَجَلِكَ

 

[par ta cavalerie et ta piétaille]



[par tes ruses et tes mensonges]

 

  1. Ambiguïté liée à l’anastrophe8 [at-taqdīm wa-t-taʾkhīr] et au désordre dans certains versets. Exemple : Il semble que cette phrase du verset XXII, 39 ("أُذِنَ للذين يُقاتلون بأنهم ظُلِمُوا") soit dans le désordre, et qu’il vaudrait mieux mettre chacun des deux verbes à la place de l’autre pour que la phrase soit logique et compatible avec ses interprétations ; et l’ordre normal de la phrase doit être ainsi : "أُذِنَ للذين ظُلِموا بأنْ يقاتِلوا". Sans oublier l’ambiguïté liée à la contradiction entre les versets ou à l’intérieur du même verset. À titre d’exemple, le verset 39 ("أُذِنَ للذين يقاتَلون بأنهم ظُلِموا") est sémantiquement et logiquement incompatible avec le verset précédent 38 ("إنَّ اللهَ يُدافِعُ عن الذين آمَنوا"). Pourquoi Dieu autorise aux croyants de combattre pour se défendre si Dieu lui-même s’engage à les défendre ?! Cela peut indiquer que chaque énoncé renvoie à une situation sociopolitique complètement différente de l’autre. Ainsi, le verset 38 peut être mecquois et reflète la période de la faiblesse de la communauté musulmane, alors que le verset suivant 39 peut être médinoise et reflète la période la capacité des musulmans à attaquer les autres et à se répandre militairement.

  1. Ambiguïté liée aux connotations. Dans Les problèmes théoriques de la traduction, Georges Mounin souligne que l’atmosphère affective résiste à la traduction parce que jamais deux situations ne sont semblables, selon le mot de Bloomfield, et qu’il en résulte que les connotations du même terme « varient remarquablement, d’un individu à l’autre, et d’un moment à l’autre". »9 Qu’en est-il du Coran dont les versets sont liés à des situations particulières chez ses lecteurs ?

 

Ces ambiguïtés aboutissent à une polysémie qui peut affecter le domaine jurisprudentiel.

 

Problématique d’exégèse :

Il y a une différence entre l’arabe coranique opaque d’un côté et, de l’autre, les dialectes arabes et l’arabe littéral des grammairiens.

Ce qui a donné énormément de lectures qui reflètent souvent une appartenance religieuses (sunnite, chiite, soufie, alaouite, druze, ahmadie, …). Le texte coranique est susceptible de donner d’innombrables interprétations. On peut TOUT trouver dans le Coran. Pour donner un exemple, Un cheikh naqshbandī10 a interprété la phrase « Wa-qaddimū li-anfusikum » ("وقدِّموا لأنفُسكم") (II [al-Baqara], 223) [litt. : Et avancez [ø] pour vous-mêmes] (dans le sens : faites des bonnes actions) par les préliminaires amoureux. Tandis que Muḥammad Shaḥrūr croit démontrer que le verset « Nisāʾukum ḥarthun lakum fa-ʾtū ḥarthakum annā shiʾtum » ("نِساؤكم حَرثٌ لكم فأتُوا حَرثَكم أنَّى شئتم وقدِّموا لأنفسِكم")11 ne parle pas des femmes mais de toutes les futures inventions technologiques.

On peut dire que les exégèses sont nées et développées dans un contexte conflictuel et identitaire. A l’époque contemporaine, l’exégèse s’inscrit généralement dans un contexte concordiste. Les premiers récepteurs du Coran, qui étaient issus de divers backgrounds, avaient besoin, à travers les multiples exégèses, de s’affirmer, d’exprimer leurs différences, leurs identités, face à un texte-canon unique, unificateur, destructeur et fusionnant des identités. L’apparition de multiples interprétations peut se comprendre comme compensation de l’imposition d’un unique texte, pour que les identités ou les sous-identités muselées, étouffées s’extériorisent, puissent trouver une issue, une catharsis. En guise d’exemple, la communauté ahmadie a publié son exégèse At-tafsīr al-kabīr écrit par Mirzā Bashīr Ad-Dīn Maḥmūd Aḥmad (m. 1965) pour montrer son identité différente. L’émergence de la confrérie sunnite naqshbandite syrienne d’Amīn Shaykhū (m. 1964) et d’Al-Bānī (m. 2011) a donné naissance à une exégèse.

 

Problématiques de la traduction du Coran :

Devant un texte polysémique, l’exégèse et la traduction sont sélectives pour répondre à des besoins sociopolitiques. La vraie problématique de la traduction des textes religieux (la Bible, le Coran ou la Torah) dépasse les difficultés linguistiques, herméneutiques et culturelles. Cette problématique est d’ordre politico-historique. Il n’y a pas seulement des considérations linguistiques qui influencent les traductions des textes sacrés, mais aussi des considérations politiques qui jouent un rôle essentiel dans la question même de la traductibilité des textes sacrés (entre permission et interdiction). La traduction d’un même texte religieux qui était interdite dans un moment est devenue fortement recommandée dans un autre moment de l’histoire. De plus, l’admissibilité de la traduction est régie par des considérations purement politiques. La traduction peut être refusée ou acceptée selon l’appartenance idéologique et religieuse du traducteur qui ne peut que se manifester à travers sa traduction.

 

L’histoire de la traduction du texte sacré n’est pas la même pour la Bible et le Coran. Dès le début du christianisme, les chrétiens ont ressenti un besoin de traduire leur Bible pour répandre leur religion, et bien plus tard naturellement pour se défendre de l’expansion de l’islam. De plus, ils ont ressenti un besoin de traduire le livre religieux de leur ennemi (le Coran) pour mieux le connaître et le réfuter. Cependant, les musulmans n’ont pas ressenti au début la même nécessité de traduire leur Livre du fait qu’ils le considèrent comme la parole parfaite de Dieu et par la suite intraduisible, alors que les chrétiens n’émettaient pas la même réserve.

 

Cette intraduisibilité, qui n’est qu’un corollaire de l’inimitabilité12, peut se comprendre d’un point de vue politique comme une volonté de répandre la langue arabe dans les pays conquises. C'est grâce à cette volonté d’arabisation que les conquérants arabes ont pu arabiser la Grande Syrie, l’Égypte et le Maghreb. L’intraduisibilité du Coran est due au fait qu’il est un livre identitaire. C’est grâce au Coran que la nation arabe est née. Ainsi, ils n’ont pas senti le besoin politique de traduire le Coran. Ils n’avaient pas a fortiori le même intérêt de traduire le livre sacré de leur ennemi (la Bible). En d’autres termes, le besoin politique a poussé les Arabes à unifier, à codifier leur texte religieux (la démarche du calife ʿUthmān ibn ʿAffān). Aucun besoin politique ne les a obligé à le traduire.

 

Plus tard, poussés par la rivalité et la concurrence, les musulmans ont commencé, à l’instar de la Bible, à traduire leur texte sacré en langues et dialectes vivants, pour deux raisons :

  1. Ils sont convaincus que les orientalistes ont déformé le message du Coran en le traduisant dans leurs langues.

  1. Ils ont ressenti un besoin de rivaliser les chrétiens qui ont traduit inlassablement la Bible dans toutes les langues, ce qui peut créer un obstacle devant la diffusion de l'islam. Le Complexe du Roi Fahd pour l’impression du noble Coran a vivement recommandé d’élaborer un projet pour réaliser le plus grand nombre possible des traductions du Coran, en soulignant que la Bible a été traduite en 2000 langues, alors que le Coran a été traduit en 47 langues13.

 

Certains chercheurs et traducteurs musulmans soulignent que la problématique de la traduction du Coran est le manque de compétences linguistiques du traducteur, voire la mauvaise intention du traducteur « orientaliste » qui voulait déformer le Coran. Cependant, la pratique des traducteurs musulmans est d’embellir et d’éclaircir la traduction.

 

Dans son livre Tarjmāt al-Qurʾān ilā ayn? Wajhān li Jacques Berque (Les traductions du Coran, pour aller où? Deux visages de Jacques Berque) (2002), Zeinab Abdelaziz14 considère la traduction de Berque, en tant qu’orientaliste, est tendancieuse, pleine de fautes, malintentionnée, voire dangereuse car elle a pour but de déformer l’islam selon Abdelaziz.15

 

À propos de la problématique de la traduction du texte coranique, Chédia Trabelsi16 considère que les traducteurs ont fait des traductions comportant des erreurs d’interprétation de deux sortes: des erreurs personnelles et des erreurs d’ordre général, parce qu’ils n’ont pas suffisamment lu d’exégèses coraniques, ou parce qu’ils se sont contentés d’exégèses dites « faibles » (c’est-à-dire non fréquentes, non accréditées par la plupart des grands exégètes) ou encore parce qu’ils n’ont pas la compétence linguistique arabe ou française requise.

 

Mostafa Rahmandoust, poète, écrivain et traducteur coranique persan, dans la deuxième partie de son entretien avec l’Agence Internationale de Presse Coranique (IQNA), a souligné que le problème principal des traducteurs coraniques était leur manque de connaissance de l’arabe. « La traduction comme le Coran, doit être belle et claire ».17

 

Cependant, la question qui se pose est comment donner une traduction claire pour un texte plein de mots et passages ambigus que les premiers exégètes eux-mêmes ont trouvé du mal à comprendre.

 

L’une des problématiques essentielles de la traduction du Coran est donc son caractère polysémique. « ce texte arabe se caractérise par une densité sémantique - une multitude, toujours ouverte, de lectures ou d'interprétations », selon Chédia Trabelsi18.

 

Le texte coranique est polysémique par excellence [« ḥammāl dhū wujūh », selon une citation attribuée au 4ème calife ʿAlī b. Abī Ṭālib]. En effet, le Coran n’est pas le seul à être polysémique, tout texte sacré est polysémique. En plus, tout texte est polysémique, selon la philosophie de la déconstruction de Jacques Derrida (1930-2004), tout texte est ouvert, infini, et l’autorité appartient non pas au texte lui-même, mais au lecteur. Le traducteur britannique David Bellos (né en 1945), lui aussi, souligne qu’« un énoncé présente tant de facettes que son traducteur disposera toujours d’un peu d’espace libre où se glisser. »19

 

En plus du caractère polysémique du Coran, se pose la problématique qui consiste sur l’idée que la forme fait partie du texte sacré. Il existe une corrélation et interdépendance entre forme et fond. Le linguiste et traducteur Henri Meschonnic (1932-2009) défend la thèse selon laquelle la forme fait partie intégrante du sens et tient à ce qu’en matière de traduction, on tâche, autant que peut se faire, de reproduire cette forme-sens. Mais si la forme est plus ou moins fixe, le sens est flottant, mouvant, instable. Le sens coule, quoique lentement, ruisselle dans le lieu et le temps avec toute lecture, interprétation, traduction.

 

Dès son apparition, le Coran traverse plusieurs étapes et à chaque étape il y a une modification de sens. La tradition musulmane rapporte trois contextes du Coran : 1-le contexte oral de l’énonciation ; 2-le contexte chronologique historique de la parole écrite par quelques compagnons selon l’ordre chronologique des événements. (Ex. : muṣḥaf [codex, version] de ʿAbdullāh ibn Masʿūd, muṣḥaf de Ubayy ibn Kaʿb, muṣḥaf de ʿAbdullāh ibn ʿAbbās, muṣḥaf de ʿAlī, muṣḥaf de ʿĀʾisha, muṣḥaf de Fāṭima) ; 3-et le contexte scriptural décousu et plus ou moins arbitraire de la compilation réécrite par le troisième calife ʿUthmān selon la longueur des sourates (en rejetant et brulant toute version en ordre chronologique et en justifiant sa compilation par le fait qu’elle est tawqīfī [fixé par ordre prophétique]).

 

Ce contexte décousu de la Vulgate a un effet très polysémique et arbitraire, car il permet d’insérer n’importe quel sens dans le champ sémantique du mot ou de la phrase et par la suite d’élargir la polysémie. Cette compilation othmanienne semble être une stratégie du texte pour permettre toute lecture future afin de répondre à tous les besoins sociopolitiques. Malgré cette stratégie, il semble que la polysémie du Coran tend à se réduire de nos jours, les exégèses20 modernes s’en tenant souvent à l’interprétation canonique ou dominante. Cette stratégie est perdue dans les traductions qui essayent d’utiliser des connecteurs logiques pour combler les vides et relier les parties décousues du texte.

 

Ces trois contextes donnent trois niveaux de signification, et par la suite trois types d’exégèses : tafsīr kashfī (mystique), tafsīr naqlī (littéraliste) et tafsīr ʿaqlī (spéculative ou rationaliste) ; sans oublier le tafsīr ishārī (ou tafsīr bi-l-ishāra, tafsīr ramzī) [symbolique, par allusion]21 qui n’est pas tout à fait reconnu.

 

À ces trois étapes (orale, chronologique et scripturale) s’ajoutent deux autres étapes modificatrices du sens du Coran, celle de l’exégèse et celle de la traduction.

 

Quels sont les liens entre l’exégèse (tafsīr, commentaire du Coran) et la traduction ? Comment on passe de l’exégèse à la traduction ? Quels sont les éléments sociolinguistiques qui régissent les choix du traducteur ? Quel est le skopos (l’objectif) de la traduction ? (selon le théoricien allemand Hans J. Vermeer22). Ce qui compte dans toute opération traduisante, dans toute théorie de traduction c’est bien la finalité ou la fonction d’une traduction, et par conséquent le lecteur auquel cette traduction est destinée. La première question qui doit se poser est la suivante : pour qui et dans quel objectif réalise-t-on la traduction ? C’est donc le lecteur qui compte.

 

La traduction doit modifier et réduire la carte polysémique du texte coranique. C’est Mon hypothèse de départ dans la thèse de doctorat dans laquelle j’ai analysé 18 traduction françaises de la sourate 22 depuis l’année 1647 jusqu’à l’année 2010.23 La polysémie du Coran est extrêmement riche par rapport à la polysémie des traductions, car l’exégèse s’est bien développée tout au long de l’histoire de l’islam malgré l’opposition acharnée des autorités religieuses. La tradition nous rapporte que le 2ème calife ʿUmar b. Al-Khaṭṭāb a puni Ṣabīgh b. ʿAsal parce qu’il a posé une question sur l’interprétation du verset équivoque « wa-dhāryāti dharwā fa-l-ḥāmilāti wiqrā » (« والذارياتِ ذَروًا فالحاملاتِ وِقرا ») [Par les vents qui éparpillent ! Par les porteurs de fardeaux !] (LI, 1 & 2).

 

Pour montrer les modifications apportées par les traducteurs, j’ai recours à l’approche d’Antoine Berman sur les tendances déformantes de la traduction24 exposée dans son ouvrage : La traduction et la lettre ou l’Auberge du lointain, (Éditions du Seuil, Paris, 1999). (Je vais y revenir.)

 

Le résultat de ma thèse de doctorat : Je partage l’idée de Maurice Borrmans et de Christiane Dieterlé qui disent que les traductions sont complémentaires. J’ajoute que toutes les traductions du Coran (qui évoluent d’ailleurs dans un espace clos et indépendamment des exégèses) n’ont pas pu refléter la richesse polysémique du texte arabe du Coran et apporte une légère modification au texte de départ. L’incapacité des traductions à refléter toute la richesse polysémique du Coran n’est pas due au caractère rhétorique et sacré du texte coranique arabe. Ce phénomène est lié à tous les textes, et dans toute traduction il y a un gain et une perte.

 

Quelles méthodes suivies par les traducteurs du Coran ?

En général, les traducteurs du Coran appliquent la comparaison et « l’ennoblissement » (selon les termes d’Antoine Berman25). Ils mettent à jour une (des) traduction(s) déjà existante(s) suivant un skopos (objectif). Ils partent d’une ou de plusieurs traductions précédentes et apportent des modifications pour produire une traduction plus belle, plus claire, plus adaptée à l’esprit du temps, voire plus musulmane (en corrigeant une traduction réalisée par un orientaliste). Parfois, ils consultent les exégèses.

En guise d’exemples :

  1. Claude-Étienne Savary (1750-1788) a consulté la traduction d’André Du Ryer (1647) et la traduction en latin de Louis Marracci (1698) pour produire sa traduction. Savary a critiqué celle de Du Ryer et a rendu hommage à celle de Marracci qu’il cite dans les notes.

  2. Kazimirski (1808-1887) a révisé la traduction de Claude-Étienne Savary (1782) pour faire sa propre traduction (1840).

  3. La traduction de Mohammad Hamidullah (1959) est une amélioration de celle de Blachère (1949).

  4. La traduction de Cheikh Si Hamza Boubakeur (1912-1995), publiée en 1972 est très influencée par celles de Kazimirski (1840) et de Blachère (1949).

  5. La traduction de Berque (1990) qui associe la rigueur de Blachère à un style bien plus littéraire a tiré profit de deux traductions : celle de Blachère (1949) et celle de Si Hamza Boubakeur (1972).

  6. La traduction du Complexe du Roi Fahd de Médine (2001) n’est qu’une correction et révision de la traduction de Mohammad Hamidullah (1959).

  7. La traduction de Zeinab Abdelaziz (2002) est une correction de celle de Jacques Berque, une traduction anti-Berque, dans le but nettoyer la traduction de toute influence non musulmane et donner une traduction différente de celle de Jacques Berque afin de montrer la malveillance des traducteurs non musulmans et à prêcher l’inimitabilité linguistique et scientifique du Coran.

  8. La traduction de Sami Aldeeb (2008) est le fruit de la confrontation d’une vingtaine de traductions, essentiellement celles du Complexe de Médine, de Hamidullah, Blachère, Masson et Kazimirski pour en tirer une traduction qu’il trouve meilleure en fonction de ses convictions personnelles.

À la comparaison et l’embellissement, s’ajoute la méthode de l’homogénéisation (harmonisation).Blachère a tenté de rendre un terme arabe par un mot français unique. Cette méthode de traduction (reprise plus tard par Sami Aldeeb en 2008) confirme le point de vue de l’exégète contemporain Muḥammad Sharūr qui précise que la synonymie n’existe pas dans le Coran, un texte qui fait la distinction entre les synonymes.

 

En quoi la traduction modifie-elle le texte coranique ?

Nous allons voir des exemples de la sourate al-Ḥajj (sourate 22) sur les tendances déformantes de la traduction.

  1. La rationalisation : L’un des procédés de rationalisation les plus courants consiste à jouer sur la ponctuation du texte, de recomposer ses phrases de manière à les arranger selon une certaine idée. Cette nouvelle ponctuation rationalise la traduction, modifie et réduit la polysémie de l’original. Sachant que le Coran a sa propre ponctuation (ʿalāmāt al-waqf [les signes de la pause]). Par exemple, dans le v. 5 là où le signe indique qu’il est préférable de ne pas s’arrêter, Ghédira et Berque ont mis un point-virgule, alors que la traductrice littéraliste Abdelaziz et Malek Chebel ont mis un point.

 

 

 

Rationalisation en traduction : modification de la ponctuation : ِexemple du verste XXII, 5

Texte arabe (verset XXII, 5)

ثُـمَّ لِــتَـبْـلُـغُـوا أَشُـدَّكُـمْ ۖ وَمِـنْـكُـمْ مَـنْ يُـتَـوَفَّـىٰ

Trad. de Ghédira (1957)

Puis, Nous vous laissons atteindre l’âge mûr ; les uns meurent avant,

Trad. de Berque (1990)

après quoi Nous visons à vous faire atteindre votre force adulte ; et certains parmi vous sont recouvrés (jeunes),

Trad. d’Abdelaziz (2002)

pour que vous atteigniez ensuite la force de l’âge. Et il en est d’entre vous qui est Rappelé,

Trad. de Chebel (2009)

avant d’atteindre votre maturité. Il y a ceux d’entre vous qui meurent

 

La rationalisation fait passer l’original du concret à l’abstrait, en traduisant les verbes par des substantifs, en choisissant, de deux substantifs, le plus général. Berque a traduit l’adjectif « marīd » [≈ rebelle] (v. 3) par un substantif : « de rébellion » et Chebel par : « dans sa folie ».

Parfois, des verbes ou des mots sont omis même dans la traduction la plus littéraliste et la plus méticuleuse. Par exemple, Abdelaziz, l’une des traducteurs les plus minutieuses, n’a pas traduit le verbe nudhīquhu نُذِيقُه [nous lui ferons goûter] (v. 9). Voici sa traduction :

Clausule du verset 9

Traduction d’Abdelaziz

"له في الدنيا خِزيٌ ونُذِيقُه يومَ الْقيامةِ عذابَ الحريق."

« Il aura au monde un avilissement et, [ø] le jour de la Résurrection, le châtiment du Feu ardent : »

 

  1. La clarification : La traduction vise en général « à rendre "clair" ce qui ne l’est pas et ne veut pas l’être dans l’original »26. Berque a ajouté entre parenthèse un COD (Notre pouvoir) omis dans l’original pour le verbe nubayyina [≈ nous expliquons] (v. 5). « Le passage de la polysémie à la monosémie est un mode de clarification. » Savary, Berque, Chiadmi et Abdelaziz ont traduit entre parenthèse le pronom COD indéterminé -hu dans le verbe yanṣura-hu [≈ le secourra] (v. 15) par « (Prophète) ». D’autres (Du Ryer, Kazimirski, Ghédira, Hamidullah et Hafiane) ont précisé le nom de Muḥammad. Le terme hapax équivoque et polysémique au singulier tafath (تَفَث) (v. 29) est rendu par la plupart des traducteurs par le terme au pluriel : « interdits », en perdant ainsi tout l’aspect rituel et cultuel du mot.

 

  1. L’allongement : la traduction a tendance à être plus long que l’original. L’ajout n’apporte rien et ne fait qu’accroître la masse brute du texte. L’allongement est un relâchement portant atteinte à la rythmique de l’œuvre et notamment d’un livre sacré basé sur la psalmodie, d’un livre dont la rythmique est un aspect essentiel.

L’ajout est très fréquent dans les traductions du Coran. Berque ajoute beaucoup de mots entre parenthèse (comme : les fidèles ; chamelles ; en effet ; peuvent s’attendre ; de mort naturelle ; à répliquer). Guessous traduit le verbe « ʾanzalnā-hu » [≈ nous le faisons descendre] (v. 16) par : « Nous t’avons révélé le Coran. » Hamidullah ajoute le nom arabe : « l’Enfer-Sa’ïr » ; « l’Enfer-Harîc ». Du Ryer ajoute des mots pour expliquer. Par exemple27, il a traduit : « هذان خَصمان اختصموا » [Ces deux-ci sont adversaires qui divergèrent [Abdelaziz]] (v. 19) par : « Ces deux partis, les fidelles & les infidelles, ont diʃputé ».

En traduisant le verset 10, Chiadmi (1999) a ajouté le syntagme prépositionnel « sur Terre », la phrase incise « lui sera-t-il dit », la particule causative « car » et le pronom possessif « Ses » :

ذَلك بما قَدَّمَتْ يداكَ وأنَّ اللَّهَ ليس بظَلاَّمٍ للعبيد.

« Voilà le prix des actes que tu as accomplis sur Terre ! », lui sera-t-il dit, car Dieu ne Se montre jamais injuste enversSescréatures.

 

  1. L’ennoblissement et la vulgarisation : Il s’agit de rendre la traduction « plus belle » (formellement) que l’original. La rhétorisation embellissante consiste à produire des phrases « élégantes » en utilisant l’original comme matière première. Pour lutter contre cette tendance « embellissante », « Ortega y Gasset proposait que la traduction de l’avenir soit "une traduction laide" (traducción fea) »28. C’est peut-être la raison pour laquelle Berman défend la traduction sourcière et considère que la traduction cibliste est ethnocentrique.29 (cibliste = ethnocentrique, c.à.d. traduire l’œuvre étrangère de façon à ce que l’on ne « sente » pas la traduction, de façon à donner l’impression que c’est ce que l’auteur aurait écrit s’il avait écrit dans la langue traduisante.) Ce type de traduction cibliste proche de la théorie d’Eugene Nida30, la théorie de l’équivalence dynamique (théorie que, dans le but de l’appliquer sur la traduction du Coran, Ferhat Mameri31 a étudiée en 2005 et que Majdi Ibrahim Haji32 a examinée en 2009) modifierait énormément la polysémie du texte de départ. D’ailleurs, Rémi Brague33 demande déjà si c’est bien le Coran que l’on lit à travers ces traductions, et déjà, si c’est bien le Coran que les traducteurs on traduit.34

L’ennoblissement n’est qu’une réécriture, un « exercice de style » à partir (et aux dépens) de l’original. Pour remédier à la désarticulation des phrases, Berque ajoute des connecteurs logiques comme : cependant (v. 11), Tandis que (v. 23), outre que (v. 24), Dès lors (v. 50), Il est vrai que (v. 55), Quoi ! (v. 71), etc.

Quand les traducteurs ajoutent des connecteurs logiques entre les versets, c’est parce que le lecteur de la traduction cherche la logique, alors que le lecteur du texte arabe cherche plus la musique que la logique.

Le mot ʿaqīm [stérile] qui qualifie le jour dernier (XXII, 55) a été traduit par Du Ryer, Savary, le Complexe de Médine et Chiadmi par : « terrible », « terrifiant »,« très rigoureusement ». Autrement dit, ces traducteurs ont lu ʿaẓīm [terrible] à la place de ʿaqīm [stérile]. Ce « re-writing embellissant […] anéantit simultanément la richesse orale. »35

Parfois la traduction ennoblissante (embellissante) et apologétique (comme celles du Complexe du Roi Fahd de Médine (2001) et de Zeinab Abdelaziz (2002)) adopte les mêmes choix d’une traduction dénigrante et avilissante (comme celle de Sami Aldeeb (2008)). Dans ces traductions, où on trouve souvent le même choix littéral, l’ennoblissement et l’avilissement se rejoignent, les extrêmes se touchent. Ainsi, la théorie du « fer à cheval » (« horseshoe theory ») de Jean-Pierre Faye (né en 1925)36, selon laquelle les extrêmes opposés en politique se rejoignent (sont plus proches entre eux qu’ils ne sont proches du centre), peut se vérifier dans la traduction du Coran.

 

  1. L’appauvrissement qualitatif : Il consiste à remplacer des termes, expressions, tournures, de l’original par des termes, expressions, tournures, n’ayant ni leur richesse sonore, ni leur richesse signifiante ou iconique. Toute la richesse sonore et iconique du verbe اثَّاقَلْتُمْ إلى الأرض [iththāqaltum ila-l-ʾarḍ] (IX, 38), un verbe qualifié par des théologiens musulmans37 de « savoureux », « vif », « coloré », a été perdu dans les traductions. Abdelaziz le traduit ainsi : « vous vous alourdissez au sol » et Berque : « traîner sur place ».

Dans la sourate Al-Ḥajj, les termes et tournures savoureux et iconiques comme : زلزلة [zalzala] [≈ tremblement] (v. 1), (قُطِّعَتْ) [quṭṭiʿat] [≈ elles sont taillées] (v. 19), (فَجٍّ عَميق) [fajjin ʿamīq] [≈ profond ravin] (v. 27), (وَلْيَطَّوَّفوا) [wa-l-yaṭṭawwafū] [≈ qu’ils fassent la circumambulation] (v. 29), (صَوافَّ فإذا وَجَبَتْ جُنوبُها) [ṣawāffa fa-idhā wajabat junūbuhā] [≈ en rangs, une fois affalées sur le côté] (v. 36) ont aussi perdu dans les traductions leur vérité sonore.

 

  1. L’appauvrissement quantitatif : quand le Coran présente, pour un signifié, plusieurs signifiants, des traducteurs rendent ce signifié par un seul signifiant. Par exemple, la volonté divine est exprimée par deux signifiants (verbes yurīd et yashāʾ) dans les clausules des versets 14 (إنّ الله يَفعلُ ما يُريد) et 18 (إنّ الله يَفعلُ ما يشاء).38 Cependant, ces deux verbes sont rendus par la plupart des traducteurs par un seul : « Il veut » (Berque, Abdelaziz, Grosjean, Hamidullah, Hafiane, Masson, Complexe de Médine), « il lui plaît » (Kazimirski, Guessous, Savary).

Un autre exemple, la plupart des traducteurs (comme : Blachère, Masson, Abdelaziz, Guessous, Chebel, le Complexe de Médine, Aldeeb, etc.) ont traduit les mots thiyāb [≈ robes] (v. 19) et libās [≈ vêtements] (v. 23) par un seul signifiant : « vêtements ». De même, Savary les traduit tous deux par « habits ». Cela a tendance à appauvrir la polysémie du texte-source. Il y a ici déperdition puisqu’on a moins de signifiants dans la traduction que dans l’original.

Étymologiquement parlant, thiyāb (dérivé de la racine thwb, qui désigne le retour, le réitération [al-ʿawd wa-r-rujūʿ]39), indique l’objet auquel on revient encore et encore, et par la suite il est utilisé pour désigner les vêtements qu’on met occasionnellement non pas pour se protéger mais comme ornement ou pour sortir. Selon le sens étymologique, il pourrait faire allusion à un retour, mais un retour dans la chair, i.e. la réincarnation, c’est le sens que lui donnent les druzes et les nusayrites. Par contre, libās (dérivé de la racine lbs, qui désigne la fréquentation, l’interférence, la confusion [al-mukhālaṭa w-l-mudākhala]40), indique littéralement tout ce qui couvre, protège (yastur) physiquement ou moralement.

Toutefois, Chouraqui a traduit ces deux termes par deux termes : « habits » (thiyāb) et « vêtements » (libās). Du Ryer a également traduit « ثِيابٌ مِن نار » (v. 19) par : « chemises de feu », et « لِباسُهم فيها حرير » (v. 23) par : « vestus de soye » (23). Son choix du terme « chemises » nous rappelle l’interprétation des hétérodoxes à propos de la réincarnation (at-taqammuṣ, mot dérivé de qamīṣ, chemise). Mais il est possible que Du Ryer l’ait choisi par référence à un supplice médiéval.41

À l’opposé de cette tendance déformante d’appauvrissement quantitatif, nous remarquons dans la traduction une autre tendance enrichissantequ’on peut appeler enrichissement quantitatif, et qui consiste à donner à un seul signifiant plusieurs signifiés. Par exemple, Chiadmi a traduit alladhīna kafarū [≈ ceux qui n’ont pas cru] (v. 19, 25, 55, 57, 72) successivement par : « impies », « négateurs » et « ceux qui auront été incrédules ». Chebel a rendu cette même proposition successivement par : « mécréants », infidèles » et « ceux qui n’ont pas cru ».

Ce qui a conduit certains traducteurs à harmoniser la terminologie.

 

  1. L’homogénéisation : « Elle consiste à unifier sur tous les plans le tissu de l’original, alors que celui-ci est originairement hétérogène. Le traducteur donne au texte un coup de peigne. On a vu que le Coran contient plusieurs discours et couches textuelles hétérogènes (mecquois, médinois, harangue, etc.) que la traduction essaie d’homogénéiser.

Par exemple, la phrase « ذلك بما قَدَّمَتْ يداكَ » [cela par ce qu’auront avancé tes mains] (v. 10), contient une figure de style dite iltifāt (énallage)42 qui consiste à remplacer une forme grammaticale par une autre – ici, à passer du pronom sujet masculin singulier de la troisième personne (verset 9 : la-hu [il aura], nudhīqu-hu [nouslui ferons goûter]) à celui de la deuxième personne du singulier (verset 10 : yadā-ka [tes mains]). (On a changé le destinataire.) Certains traducteurs n’ont pas traduit le pronom de la deuxième personne du masculin singulier par son équivalent en français mais ils l’ont changé. Cette même phrase qui a été omise par Du Ryer, a été traduite par Savary ainsi : « Tel sera le prix de leurs crimes » (la deuxième personne du masculin singulier est remplacée par la troisième personne du pluriel pour homogénéiser la traduction). De même, Noureddine Ben Mahmoud (« Vous êtes les artisans d’un tel châtiment »), tandis que Kazimirski traduit yadā-ka [tes mains] par « nos œuvres ». Blachère (1949), Guessous (1999) ont traduit yadāka [tes mains] par « leursmains » pour unifier les pronoms.

Pour homogénéiser les pronoms sujets, Ben Mahmoud a omis le verbe « tarā » [tu vois] (XXII, 5) parce que les autres verbes de ce verset sont conjugués avec la deuxième personne du pluriel (kuntum = vous étiez) et la première personne du pluriel (anzalnā = nous faisons descendre).

On peut également considérer comme une forme d’homogénéisation le procédé qui consiste à normaliser la terminologie en rendant systématiquement un terme arabe par le même terme français, sans prendre en considération son contexte et l’apport exégétique. Par exemple, Aldeeb traduit toujours le mot an-nās par « humains ». Blachère, Ghédira, Masson, Grosjean, Chebel, Chiadmi, Ben Mahmoud, Hafiane et Abdelaziz l’ont traduit par : « hommes ». Cependant, les exégètes divergent à propos des significations de « an-nās » qui peut désigner des groupes de personnes très différents.

 

  1. La destruction des rythmes : La traduction peut affecter considérablement la rythmique surtout pour un texte dont la psalmodie fait partie intégrante, et notamment quand la traduction modifie énormément la ponctuation. Dans le cas de la traduction du Coran, toutes les traductions ont inventé une ponctuation fondée généralement sur l’exégèse sunnite la plus répandue mais parfois sans prendre en considération les signes de l’arrêt du Coran [ʿalāmāt al-waqf]. Le Coran basé sur l’assonance est rythmique comme la poésie, bien que le Coran ait critiqué les poètes (XXVI : 224 sq.). La traduction a perdu cette rythmique. Noha Abdel Méguid a étudié les effets rythmiques et prosodiques des traductions de Berque et de Blachère en montrant la richesse du texte coranique.43

Prenons ces exemples :

N° du verset

Verset en arabe

Phonétique

Traduction

Effet assonantique (fāṣila,allitération, « rime »)

XXII [al-Ḥajj], 70

إِنَّ ذَلِكَ عَلَى اللَّهِ يَسِيـــرٌ

inna dhālika ʿala llāhi yasīr

cela pour Allah est bien facile. (trad. Complexe Médine)

Assonance à cas sujet

IV [an-Nisāʾ], 169

كانَ ذَلِكَ عَلَى اللَّهِ يَسِيـــرًا

kāna dhālika ʿala llāhi yasī

cela pour Allah est bien facile.

Assonance à cas directe

 

N° du verset

Verset en arabe

Phonétique

Traduction

Effet assonantique (fāṣila, allitération, « rime »)

XXII, 17

إنَّ اللهَ على كُلِّ شيءٍ شهِيـــدٌ

inna llāha ʿalā kulli shayʾin shahīd

Dieu de toute chose est Témoin. (trad. Berque)

Assonance à cas sujet

XXXIII [al-aḥzāb], 55

إنَّ اللهَ كانَ على كُلِّ شيءٍ شهيــــدًا

inna llāha kāna ʿalā kulli shayʾin shahī

Dieu de toute chose est Témoin.

Assonance à cas directe

 

Comparons entre "إنَّ اللهَ على كُلِّ شيءٍ شهِيـــدٌ" (XXII, 17) et "إنَّ اللهَ كانَ على كُلِّ شيءٍ شهيـــداً" (XXXIII [al-aḥzāb], 55) où l’utilisation de « inna » dans un cas et de kāna dans l’autre, par le changement dans les voyelles casuelles qu’elle entraine, modifie les sonorités. Ce procédé essentiel et fréquent dans le Coran se perd dans la traduction. Le mot-outil (foncteur) « inna » peut avoir dans le Coran un rôle musical (assonantique). Il utilise la même phrase tantôt avec inna tantôt avec kāna, selon le besoin non sémantique mais assonantique et prosodique. L’exemple « inna dhālika ʿala llāhi yasīr » (XXII, 70) et « kāna dhālika ʿala llāhi yasī » (IV, 169) le montre bien.

La clausule du verset XXII, 17 est un autre exemple qui consolide notre idée : inna llāha ʿalā kulli shayʾin shahīd [Dieu de toute chose est Témoin]. Comparons-la avec la même phrase d’un autre verset à rime accusatif : inna llāha kāna ʿalā kulli shayʾin shahī. (al-aḥzāb, 55). Dans le second verset, le semi-verbe au passé « kāna » (=était) que les exégètes considèrent comme marquant l’éternité n’indique pas le temps en réalité. Il a pour seul rôle d’obtenir une assonance à cas accusatif pour que ce verset soit compatible avec l’ensemble de la sourate. Ainsi, inna a ici un rôle plus stylistique que sémantique. L’assonance a forcé l’auteur (fictif) ou les compilateurs du Coran à utiliser kāna pour avoir un effet musical sur les lecteurs. Les rimes coraniques (fawāṣil, pl. de fāṣila) ont pour objectifs d’embellir le texte et de cacher les incohérences, comme le souligne Claude Gilliot : « Seuls le style incantatoire et les rimes peuvent faire oublier ces négligences ou ces fautes de langue ! »44

 

  1. La destruction des réseaux signifiants sous-jacents : « Tout œuvre comporte un texte “sous-jacent”, où certains signifiants clefs se répondent et s’enchaînent, forment des réseaux sous la “surface” du texte, […] du texte manifeste, donné à la simple lecture. »45

Certaines sourates se distinguent par des mots spécifiques qui ne sont pas utilisés dans d’autres. Dans leur ensemble, ces mots clefs sont porteurs d’un message que la traduction se doit d’exprimer.

Parmi ces mots, certains relèvent du registre de l’intimidation et s’enchaînent entre eux, formant un réseau sous la surface du texte et transmettant un message de tarhīb (intimidation) de très haute intensité. Probablement, pour cela, les exégèses sont allés trop loin quand ils ont commenté ces versets. À titre d’exemple, Ath-Thaʿlabī, d’après Abū Hurayra, explique la phrase coranique : « يُصَبُّ مِن فَوقِ رُؤوسِهِمُ الحَميمُ » [« yuṣabbu min fawqi ruʾūsihimu l-ḥamīm »] [sur leurs têtes une eau bouillante se déverse] (v. 19) ainsi :46

"إنَّ الحَميمَ لَيُصَبُّ على رؤوسِهم فيَنفُذُ إلى الجُمجُمةِ حتّى يَخلُصَ إلى جوفِه فيَسْلُتُ ما في جوفِه حتّى يبلغَ قدَميهِ وهو الصَّهرُ ثم يُعادُ كما كان."

[≈ Certes, l’eau bouillante se déversera bel et bien sur leurs têtes [les têtes des adversaires], transpercera le crâne jusqu’à arriver aux entrailles, videra ce qui existe dans ses entrailles [les entrailles de l’adversaire], puis elle atteindra ses pieds ; il s’agit ici de la fonte. Ensuite, on le refera comme il l’était.]

Les mots relevant du registre du tarhīb qui ne se trouvent que dans la sourate al-Ḥajj sont : zalzala [≈ tremblement] (v. 1) ; tadhhalu [≈ oubliera de terreur] (v. 2) ; murḍiʿa [≈ celle qui allaite à ce moment-là] (avec la marque du féminin qui désigne ici l’action en cours47) (v. 2) ; dhāt ḥaml [≈ chacune en état de grossesse/celle qui porte quelque chose] yuhin [≈ il humilie] (v. 18) ; mukrim [≈ celui qui honore] (v. 18) ; yuṣharu [≈ il sera fondu] (v. 20) ; maqāmiʿ [≈ massues] (v. 21) ; ghamm [≈ chagrin] (v ; 22) ; al-bāʾis [≈ le malheureux] (28) ; saḥīq [≈ profond] (v. 31). Ces termes symbolisent l’une des dimensions essentielles de la sourate al-Ḥajj, voire du message coranique.

Ces mots sont interdépendants dans la sourate. Le verbe tadhhalu est renforcé par le participe actif au féminin murḍiʿa et le syntagme adjectival dhāt ḥaml. L’ajout du syntagme prépositionnel min ghamm [≈ à cause du chagrin] qui n’est d’ailleurs pas nécessaire pour le verset 22 vient renforcer le message intimidant général de la sourate. Si quelqu’un parmi les musulmans songe à critiquer l’autorité, cette dernière va l’humilier (« yuhin Allāh ») et il ne trouvera aucun mukrim (qui honore) ; il y a même des maqāmiʿ (massues), un endroit saḥīq (profond), au moins il vit dans un état bāʾis. Et ainsi de suite. Ces mots de menace par le tourment et l’humiliation résonnent dans l’inconscient du lecteur du Coran.

De ce fait, toute traduction qui ne montre pas ce degré élevé d’intimidation et qui, par exemple, ne montre pas le sens de la terreur en omettant de traduire le verbe tadhhalu du v. 2 détruit l’un des réseaux signifiants sous-jacents. C’est le cas, entre autres, des traductions de Du Ryer (« vous verrez ce jour les mères oublier leurs enfants »), Berque (« toute allaitante en oubliera son allaité »), Savary (« la mère abandonnera son fils à la mamelle »), Blachère (« vous verrez chaque nourrice délaisse ce qu’elle allaite ») et Abdelaziz (« chaque nourrice oubliera ce qu’elle a allaité »).

 

  1. La destruction des systématismes textuels : L’emploi des temps est l’un de ces systématismes ; le recours à tel ou tel type de subordonné aussi. La rationalisation, la clarification et l’allongement introduisent des éléments qui détruisent le système du texte-source. « L’analyse d’un original et de sa traduction montrerait que l’écriture-de-la-traduction est a-systématique, comme celle de ces néophytes dont les lecteurs des maisons d’édition rejettent les textes dès la première page. »48 Le texte de la traduction n’est donc pas un vrai texte et il n’en a pas les marques, selon A. Berman.

En guise d’exemples, dans le verset XXII, 15, Chebel modifie le temps, la valeur temporelle et le mode des verbes, et Abdelaziz traduit le groupe verbal kāna yaẓunnu par un imparfait, alors qu’il exprime seulement l’antériorité par rapport aux verbes qui suivent :

مَن كانَ يظُنُّ أنْ لن ينصرَهُ اللهُ [...] فلْيَمْدُدْ بسببٍ إلى السماء ثُمَّ ليقطَعْفلْينظُرْ […]

Celui quia pensé qu’Allah ne le sauvera […] peut toujours tendre une corde vers le ciel, puis la couper, il constatera […] (Chebel)

Quiconque croyait qu’Allah ne lui Donnerait pas victoire (au Prophète), […], qu’il tende alors une corde vers le toit, ensuite qu’il se pende : qu’il regarde […] (Abdelaziz)

[Sens du verset : Celui qui pense déjà que Dieu n’est pas à ses côtés, il peut désormais établir un lien avec le Ciel, puis faire une rupture et voir[…]]

 

  1. La destruction (ou l’exotisation) des réseaux langagiers vernaculaires : « Toute grande prose entretient des rapports étroits avec les langues vernaculaires »49. La langue vernaculaire est plus corporelle et plus iconique que la langue cultivée, la koinè. L’arabe préislamique déclamatif (qui relève de la déclamation) et concret du Coran est plus parlant que le français livresque. La phrase vocative « Yā ayyuha n-nās » (v. 1 & 5) est beaucoup plus iconique, savoureuse, concrète, voire polysémique que : « Ô hommes ! » (Kazimirski, Complexe de Médine, Chiadmi, Hafiane, Abdelaziz), « Hommes ! » (Grosjean, Ben Mahmoud, Guessous), « Humains » (Berque), ou encore l’expression familière de Hamidullah « Ho, les gens ! ». Le passage d’un pronom de la troisième personne à un pronom de la deuxième personne (iltifāt, énallage) est plus concret, plus oral et plus savoureux dans le Coran que dans la traduction.

« L’effacement des vernaculaires est une grave atteinte à la textualité des œuvres en prose. […] Malheureusement, le vernaculaire ne peut être traduit dans un autre vernaculaire. Seules les koinai, les langues « cultivées », peuvent s’entretraduire. Une telle exotisation, qui rend l’étranger du dehors par celui du dedans n’aboutit qu’à ridiculiser l’original. »50

Selon la tradition musulmane, le Coran a été « révélé » selon sept ḥarf [litt. : lettres ≈ langue vernaculaires, lectures]. Le terme hāmida (v. 5) est utilisé dans le sens de mughbarra [≈ cendré/de couleur terne] dans le dialecte de la tribu de Hadhīl, alors que ce mot est rendu dans les traductions par : « séchée », « desséchée », « stérile », « prostrée », « languir », « éteinte », « désertique », « inerte », « morte », etc. Le mot umnīyati-hi (v. 52) a dans le vernaculaire de Quraysh le sens de : fikrati-hi [« son idée »]51, alors qu’il est rendu dans les traductions par : « leur doctrine », « la lecture d’un livre divin », « la lecture du livre révélé », « leur souhait », « son souhait », « son désir », « ses désirs », « sa récitation », « ses projections », « ses espoirs », etc. Seule Abdelaziz a montré le sens vernaculaire en traduisant le terme umnīyati-hi par : « sa pensée ».

Le Coran est un produit oral vernaculaire lié à un contexte réel, à des événements. Les ouvrages d’asbāb an-nuzūl [litt. : causes de révélation] et le choix de certains termes et pronoms (notamment dans l’énallage, l’iltifāt) en gardent certaines traces lors du passage à l’écrit canonique. Les traductions se sont référées à un autre contexte scriptural, dans le sens où elles ne montrent pas les événements auxquels le texte arabe fait une forte allusion. Ces événements ne sont pas vus dans les traductions, comme le conflit entre le prophète Muḥammad et son adversaire an-Naḍr ibn al-Ḥārith (v. 3, 8 & 47), le récit des gharānīq (v. 52), etc.

 

  1. La destruction des locutions et idiotismes : Le Coran abonde en images, locutions, idiotismes, proverbes, qui relèvent en partie du vernaculaire et qui véhiculent un sens ou une expérience qui se retrouvent dans des images et locutions d’autres langues. Les traducteurs les traduisent littéralement. Cependant, les équivalents d’un proverbe ou d’une locution ne les remplacent pas, car « traduire n’est pas chercher des équivalences »52.

Voici certains idiotismes, locutions, images qui relèvent du vernaculaire et qui ont perdu dans la traduction leur valeur iconique et certains aspects sémantiques :

Image arabe coranique (sourate 22)

Traduction de Berque

"يَعبُدُ اللَّهَ على حَرف" (آية ١١)

« pour n’adorer Dieu que de guingois » (v. 11)

"ومَن يُشرِكْ باللَّهِ فكأنَّما خَـرَّ مِن السَّماء فتَخْطَفُه الطيرُ أو تَهوي به الريحُ في مكانٍ سحيق" (٣١)

« qui associe à Dieu, c’est comme s’il dégringolait du ciel, et qu’alors un oiseau le happe ou que le vent l’abîme en un lieu perdu » (v. 31)

"خاويةٌ على عُروشِها" (٤٥)

« toutes vides sur leurs assises » (v. 45)

"فتكونَ لهم قُلوبٌ يَعقِلون بها أو آذانٌ يَسمعون بها فإنها لا تَعمى الأبصارُ ولكن تعمى القلوبُ التي في الصدور" (٤٦)

« ayant un cœur apte à raisonner (sur ces vicissitudes), des oreilles capables d’en entendre (parler)? Or, ce ne sont pas les regards qui sont aveugles, mais s’aveuglent les cœurs qui battent dans les poitrines. » (v. 46)

"يُولِجُ الليلَ في النهار ويُولجُ النهارَ في الليل" (٦١)

« fait entrer la nuit dans le jour, fait entrer le jour dans la nuit » (v. 61)

"يَعلمُ ما بَينَ أيديهم وما خلفهم" (٧٦)

« Il sait ce qu’ils ont devant eux et ce qui leur vient derrière » (v. 76)

 

  1. L’effacement des superpositions de langues : « Toute prose se caractérise par des superpositions de langues »53. Dans Itqān et ad-Durr al-Manthūr, l’exégète as-Suyūṭī parle des termes non arabes dans le Coran. La superposition des langues est menacée par la traduction. Voici quelques exemples des mots non arabes dans la sourate al-Ḥajj :

  • أَساوِرasāwir [≈ des bracelets] (v. 23) : d’origine persane (distawār)54 ;

  • يُصهَرُyuṣharu [≈ il sera fondu] (v. 20) : d’origine berbère, ou copte55 ;

  • صِراطṣirāṭ [≈ voie/chemin] (v. 24) : d’origine latine [bi-r-rūmyya] (« strata »)56 ;

  • بِـيَـع biyaʿ [≈ églises/synagogues] (v. 40) : d’origine persane ou araméenne (« bīʿa »)57 ;

  • صَلَواتṣalawāt [≈ synagogues] (v. 40) : d’origine hébraïque58.

 

La traduction comme destruction (la perte et le gain dans la traduction) :

Selon Berman, « toute théorie de la traduction est la théorisation de la destruction de la lettre au profit du sens. »59

La traduction régie par ces tendances déformantes est iconoclaste. Elle défait les rapports spécifiques que l’œuvre a institué entre la lettre et le sens, rapport où c’est la lettre qui absorbe le sens.

 

À mon sens, le processus de la traduction peut être comparée à celui du haḍm [digestion] contenant essentiellement deux phases : hadm [destruction/réduction en bouillie] et ḍamm [annexion/assimilation]. Traduire semble être détruire, réduire et reconstruire. Dans ce processus, il y a perte et gain. Dans la traduction du Coran, la perte semble être beaucoup plus grande.

 

(processus de traduction) Haḍm [digestion]

 

 

1-Hadm (destruction)

2-amm (annexion)

 

(Il y a une perte et un gain)

 

 

Prenons cet exemple pour voir le hadm [« destruction de la lettre au profit du sens », selon les termes de Berman60] et le ḍamm [« annexion du sens », selon les termes de Berman61] dans la traduction :

 

"وكثيرٌ حَقَّ عليه العذابُ ومن يُهِنِ اللَهُ فما له من مُكْرِمٍ" (١٨)

Trad. litt.

« Et sur beaucoup se confirme le tourment, et celui qu’Allah humilie n’a pas d’honorificateur »

Trad. de Chebel (2009)

« Mais beaucoup méritent les pires tourments, car celui qui négligeAllah ne trouvera personne pour l’honorer » (v. 18)

 

Dans le processus de la traduction (haḍm), la phase de la destruction (hadm) commence quand le traducteur, conditionné par son arrière-plan et les pensées et la façon d’écrire de son époque, lit, découpe, analyse et comprend la phrase à traduire. La phase de l’annexion (ḍamm) du sens se réalise quand le traducteur choisit ses termes et construit sa phrase dans l’autre langue.

 

Puisqu’il voudrait probablement donner une traduction plus belle (cibliste), Chebel utilise ici les connecteurs logiques « mais » et « car » qui n’existent pas dans la phrase de départ. Cela modifie la polysémie des énoncés (la polysémie de la phrase) en ajoutant l’idée d’opposition (« mais ») et de causalité (« car »). Il s’agit là des tendances de rationalisation, de clarification et d’ennoblissement.

 

En outre, le traducteur a recours à l’augmentatif, à l’intensif, et allonge sa traduction en utilisant le superlatif au pluriel « pires » qui n’existe pas non plus dans la phrase arabe. Ici, Chebel semble influencé par les exégètes qui insistent avec exagération sur l’explication des termes qui mettent l’accent sur le tourment.

 

Dans ce processus d’annexion, Chebel choisit le verbe au présent « néglige » pour traduire le verbe à l’apocopé yuhin [il humilie] et inverse, en plus, le sujet et le COD ; il utilise Allah comme COD alors qu’il est sujet dans la phrase arabe. Comment cette erreur s’est glissée dans la traduction de Chebel ? Nous ne dirons pas qu’elle est due au manque d’expérience linguistique et islamologique (du fait que Chebel est anthropologue), mais au fait que le traducteur n’a probablement pas consulté les exégèses (au moins pour ce verset). Il est peut-être parti d’une traduction précédente et a apporté des modifications. Il y a seulement deux traductions (précédentes) qui ont fait cette inversion : celle de Blachère (1949) (« [car] quiconque méprise Allah n’aura nul bienfait [au Jugement Dernier]. ») et celle de Guessous (1999) (« Quiconque méprise ALLAH n’aura nul bienfait. »).

Il se peut également que cette permutation du sujet et du COD soit due à l’idée commune de الإعراض عن الله (l’éloignement de Dieu), idée proche de l’exégèse moderne d’Amīn Shaykhū (m. 1964), exégèse publiée à Damas en 1997 (« si tu t’éloignes d’Allah, tu seras humilié »). Cette idée de « s’éloigner d’Allah » (« négliger Allah ») semble plus conforme à l’esprit moderne et occidental que l’idée selon laquelle Allah humilie ses créatures. L’idée que « Allah humilie » a été donc éliminée par Chebel dans le processus de traduction (haḍm, digestion). Cette modification de traduction est une sorte d’annexion du sens et d’ennoblissement de la traduction. Et cette « annexion du sens » (ḍamm al-maʿnā) qui n’est qu’une modification polysémique porte les empreintes culturelles du traducteur. Qui plus est, Chebel modifie le temps et le verbe de la proposition finale « فما له » [« il n’a pas »] en disant : « ne trouvera personne ». La perte est grande dans la traduction de Chebel pour ce verset.

 

En général, le traducteur traduit ce que le lecteur veut entendre (ou ce que le traducteur veut dire au lecteur) et non pas forcément ce que l’exégèse canonique dit du texte-source. Le verset 41 souligne selon des théologiens modernes que la laïcité n’est pas conforme à l’islam (al-Qaraāwī l’affirme explicitement en citant le verset XXII, 41 : الدولة العلمانية مرفوضة عندنا نحن المسلمين [« L’état laïque est refusé chez nous les Musulmans »])62  ; mais les traductions de ce verset ne montrent pas l’interdiction de la laïcité. La phrase « وجاهِدوا في اللَّه حَقَّ جهادِه » (v. XXII, 78) est comprise majoritairement dans le sens de faire le djihad contre les polythéistes et les ennemis d’Allah. Ce sens djihadiste est absent dans certaines traductions et moins présent dans d’autres. Cette phrase est traduite ainsi : « efforcez-vous en Dieu du vrai de Son effort » (Berque) ; « Et luttez pour Allah comme il se doit de lutter pour Lui » (Abdelaziz) ; « Combattez dans la voie d’Allah à la hauteur de ce qu’Il conçoit » (Chebel) ; « Ne ménagez pas vos efforts pour la cause de Dieu » (Ben Mahmoud) ; « Combattez pour Dieu, car il a droit à la lutte que les croyants mènent pour lui » (Masson) ; « Et luttez pour Allah avec tout l’effort qu’Il mérite » (Complexe Médine). Seule la traduction de Ghédira utilise le mot « guerre » : « Faites la Juste Guerre pour Dieu comme Il le mérite ».

 

Nous voyons, à travers les exemples précédents, que cette lecture bermanienne des traductions de la sourate al-Ḥajj nous montre qu’il il existe toujours une différence polysémique, une modification sémantique entre le texte de départ et le texte d’arrivée et que cette modification est inévitable. Ce changement de valeur polysémique peut se voir dans le texte à trois niveaux : pronominal, lexical et des énoncés.

 

1 Maxime ADEL : professeur agrégé d’arabe, chercheur associé à l’IREMAM (Institut de Recherches et d’Études sur le Monde Arabe et Musulman), docteur en islamologie et traductologie. Il a soutenu le 23 novembre 2017 sa thèse intitulée : « Approche polysémique et traductologique du Coran. La sourate XXII (Al-Ḥajj [le pèlerinage]) comme modèle. ».

2 Claude Gilliot, « Le Coran, production littéraire de l’Antiquité tardive ou Mahomet interprète dans le “lectionnaire arabe” de La Mecque », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 129 | 2011, 31-56.

3 La tradition musulmane sunnite rapporte que Ibn ʿUmar ibn al-Khaṭṭāb, le fils du Calife Omar aurait dit : « Que personne d’entre vous ne dise qu’il a acquis le Coran entier, car qu’en sait-il ? Beaucoup du Coran a été perdu ! Alors qu’il dise : J’ai acquis ce qui était disponible [apparent]. »)

عنِ ابنِ عُمَرَ قالَ: "لا يَقُولَنَّ أَحَدُكُم قَدْ أَخَذْتُ القُرآنَ كُلَّهُ وما يُدْرِيهِ مَا كُلَّهُ؟ قَدْ ذَهَبَ مِنهُ قُرآنٌ كَثِيرٌ، ولَكِنْ لِيَقُلْ: قَدْ أَخَذْتُ مِنهُ ما ظَهرَ مِنهُ".

4 Jaʿfar As-Sabḥānī, Al-manāhij at-tafsīrīya, Éditions de Muʾassasat al-Imām aṣ-Ṣādiq, Qom, Iran, troisième édition, 1426 de l’Hégire (2005 J-.C), p. 17.

6 Christoph Luxenberg, The Syro-Aramaic Reading of the Koran : A Contribution to the Decoding of the Language of the Koran [Lecture syro-araméenne du Coran : une contribution pour décoder la langue du Coran], (titre original en allemand : Die syro-aramäische Lesart des Koran – Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache, publié en 2000), traduction anglaise publiée à Berlin en 2007 par Verlag Hans Schiler, p. 242 sq.

7 Christoph Luxenberg, The Syro-Aramaic Reading of the Koran : A Contribution to the Decoding of the Language of the Koran [Lecture syro-araméenne du Coran : une contribution pour décoder la langue du Coran], (titre original en allemand : Die syro-aramäische Lesart des Koran – Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache, publié en 2000), traduction anglaise publiée à Berlin en 2007 par Verlag Hans Schiler, p. 242 sq.

8 L’anastrophe : En rhétorique, le renversement de la construction naturelle ou ordinaire.

9 Georges Mounin, Les problèmes théoriques de la traduction, op. cit., Gallimard, 1963, p. 167.

10 Naqshbandī : membre de la confrérie soufie (mystique) sunnite appelée Naqshbandyya apparue au 12ème siècle.

11La traduction de Zeinab Abdelaziz : « Vos femmes sont un labour pour vous. Allez-donc à votre labourage comme vous voulez, et faites-vous précéder de bonnes actions* » *Cela veut dire que les câlineries entre époux font partie des bonnes actions pour lesquelles l’être humain sera rétribué.

La traduction de Jacques Berque : « vos femmes sont votre semaille. Allez à votre semaille de la façon que vous voulez. Tirez-en une avance pour vous-mêmes ».

12 L’iʿjāz (inimitabilité) du Coran, selon al-Khaṭṭābī (319 H./931 J.C. – 388 H./998 J.C.) [Abū Sulaymān amad ibn Muammad al-Khaṭṭābī al-Bustī (de la ville de Bust au nord de Kaboul en Afghanistan), un descendant d’Omar ibn Al-Khaṭṭāb], est dû à l’aspect linguistique (les mots, le nam [la construction d’éléments linguistiques en schèmes syntaxiques harmonisés et régis par une série de règles], le style, le sens et la clarté éloquente [faṣāḥa]) ainsi qu’à l’effet et l’impact psychologique et affectif de la rhétorique du Coran. À propos de l’inimitabilité, cf. Arḥīla, ʿAbbās, « Bayān iʿjāz al-Qurʾān wa ittijāh ahl al-adīth », Revue Manār al-Islām, n° 2, année 12, octobre 1986, pp. 16 – 27, Émirats arabes unis. Ce même article est publié dans le site web de l’intellectuel marocain Dr. ʿAbbās Arḥīla [http://rhilaabas.jeeran.com/rhila49/archive/2008/10/708478.html] sous le titre: « al-Khaṭṭābī et son traité: Bayān iʿjāz al-Qurʾān ». Voir aussi: AUDEBERT, Claude-France, al-Khaṭṭābī et l’inimitabilité du Coran, Traduction et introduction au Bayān iʿjāz al-Qurʾān, Institut Français de Damas, 1982. Voir aussi: GARDET, Louis, Dieu et la destinée de l’homme:Les grands problèmes de la théologie musulmane: Essai de théologie comparée, Paris, J. Vrin, ("Études musulmanes, 9"), 1967, 528 p., chapitre: « Le Coran, preuve de la mission de Muammad (iʿjāz al-Qurʾān) », pp. 218-221.

14 Zeinab Abdelaziz (née en Alexandrie en 1935): professeur de civilisation et d'histoire de l'art et traductrice à l'Université de Menufeya en Égypte.

15 Entretien avec elle en arabe publié au forum Multaqa Ahl al-Tafsīr [http://www.tafsir.net/vb/tafsir7800/] et sur [www.islamweb.net].

16 Chédia Trabulsi : chercheuse tunisienne, thèse de doctorant soutenue en 1988 à Paris 3 sur : « Les usages linguistiques des femmes de Tunis ».

18 Chédia Trabelsi, « La problématique de la traduction du Coran : étude comparative de quatre traductions françaises de la sourate « La lumière » », Meta, Journal des traducteurs, volume 45, n° 3, septembre 2000, p.400-411), https://docplayer.fr/20879674-La-problematique-de-la-traduction-du-coran-etude-comparative-de-quatre-traductions-francaises-de-la-sourate-la-lumiere.html .

19 David Bellos, Le poisson et le bananier, op. cit., p. 344.

20 L’exégèse est l’explication philologique, historique ou doctrinale d’un texte obscur ou sujet à discussion (Larousse). Le terme arabe qui désigne l’exégèse est « tafsīr » (pl. tafāsīr, « interprétation »), « généralement, mais pas toujours, du Qurʾān. Le mot, employé pour désigner des commentaires d’œuvres scientifiques et philosophiques grecques, est équivalent à sharḥ. Le terme s’applique, par exemple, aux commentaires en grec et en arabe des ouvrages d’Aristote. Des Juifs et des Chrétiens, écrivant en arabe, utilisent aussi le mot à propos de traductions et de commentaires de la Bible […]. Cependant, l’emploi le plus significatif de ce mot […] est le fait de se référer à la branche du savoir islamique concernant le Qurʾān. C’est une part essentielle de la formation donnée dans la madrasa, l’étude des tafāsīr du Qurʾān constituant, de pair avec l’étude des ḥadīth et du fiqh, les éléments traditionnels du cursus. » (Rippin, A., « Tafsīr », Encyclopédie de l’Islam, Brill Online, 2010. http://dx.doi.org/10.1163/9789004206106_eifo_SIM_7294. Consulté le 23/06/2017).

21 The Wiley Blackwell Companion to the Qur'an, publié par Andrew Rippin, Jawid Mojaddedi, John Wiley & Sons,  2nd édition, 2017688 pages, chapter 27, « Ṣūfism », Alan Godlas.

22 La théorie du skopos est une théorie élaborée dans les années 1970 par le traductologue allemand Hans J. Vermeer. Selon cette théorie, toute traduction en tant qu’action a un but ou un objectif (skopos du translatum) qui peut être différent de celui du texte de départ. Vermeer précise que le texte de départ et le texte d’arrivée peuvent différer considérablement l’un de l’autre, non seulement dans la formulation et la distribution du contenu, mais aussi dans leurs buts respectifs, lesquels déterminent la façon dont le contenu est arrangé. La théorie du skopos se concentre surtout sur le but de la traduction, qui détermine les méthodes de traduction et les stratégies devant être employées pour arriver à un résultat fonctionnellement adéquat. Dans cette perspective, le succès d’une traduction dépend de sa cohérence avec la situation des récepteurs.

23 Les traductions analysées dans la thèse :

1.André Du Ryer (1647)

2.Claude-Étienne Savary (1782)

3.Kazimirski (1840)

4.Régis Blachère (1949)

5.Ameur Ghédira (1957)

6.Muhammad Hamidullah (1959) (traduction accompagnée du texte arabe à gauche)

7.Noureddine Ben Mahmoud (1962) (traduction accompagnée du texte arabe à gauche)

8.Denise Masson (1967) (traduction accompagnée du texte arabe à droite)

9.Jean Grosjean (1972 ; 1979)

10.Jacques Berque (1990) (traduction qui a suscité une polémique)

11.André Chouraqui (1990) (traduction dépaysante controversée réalisée par le biais de l’hébreu)

12.Ahmed Guessous (1999 et 2000) (traduction rimée)

13.Mohammed Chiadmi (1999) (traduction apologétique accompagnée du texte arabe à droite)

14.Le Complexe du Roi Fahd à Médine (2001) [ou 1985]

15.Zeinab Abdelaziz (2002, 2009 & 2014)

16.Sami ʿAwa Aldeeb Abū-Sāḥlieh (2008) (traduction accompagnée du texte arabe, en deux colonnes, traduction réalisée à partir de la confrontation des autres traductions)

17.Malek Chebel (2009)

18.Hachemi Hafiane (2010) (traduction accompagnée du texte arabe à droite)

24 Les tendances déformantes de la traduction chez Antoine Berman :

1-La rationalisation

2-La clarification

3-L’allongement

4-L’ennoblissement et la vulgarisation

5-L’appauvrissement qualitatif

6-L’appauvrissement quantitatif

7-L’homogénéisation

8-La destruction des rythmes

9-La destruction des réseaux signifiants sous-jacents

10-La destruction des systématismes textuels

11-La destruction (ou l’exotisation) des réseaux langagiers vernaculaires

12-La destruction des locutions et idiotismes

13-L’effacement des superpositions de langues. (Berman, Antoine, La traduction et la lettre ou l’auberge du lointain, Éditions du Seuil, Paris, 1999. p. 52 sqq.)

25Berman, Antoine, La traduction et la lettre ou l’auberge du lointain, Éditions du Seuil, Paris, 1999. p. 52 sqq.

26 Ibid., p. 55.

27 Nous avons souligné les ajouts.

28 Cité par Berman, La traduction et la lettre, op. cit., p. 57 (note 2).

29 Dominique Rougé, « Introduction à l’œuvre théorique d’Antoine Berman… », op. cit., p. 13.

30 Eugene Nida, Towards a Science of Translating, Leiden, E. J. Brill, 1964.

31 Ferhat Mameri, Le Concept de Littéralité dans la traduction du Coran. Le cas de trois traductions (thèse de Doctorat), Département de traduction, Faculté des Lettres et des Langues, Université Mentouri, Constantine, Algérie, 2005.

32 Majdi Ibrahim Haji, « La problématique de l’équivalence dynamique dans la traduction du Saint Coran : Une perspective linguistique : la traduction en malais comme modèle », Revue de l’Université de Sharjah pour les sciences humaines et sociales, n° 293, 2009.

33 Rémi Brague (né en 1947 à Paris) est un philosophe et historien de la philosophie français. Spécialiste de la philosophie médiévale arabe et juive, et connaisseur de la philosophie grecque, il enseigne la philosophie grecque, romaine et arabe à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’université Louis-et-Maximilien de Munich. Il est membre de l’Institut de France.

34 Rémi Brague, « Le Coran : Sortir du cercle ? » [« The Koran : leaving the circle ? »], Critique, avril 2003, n° 671, p.232-251.

35 Berman, La traduction et la lettre, op. cit., p. 58.

36 Jean-Pierre Faye, Le siècle des idéologies, Armand Colin, 1996, Pocket, 2002, Paris.

37 Muḥammad aṭ-Ṭāhir Ibn ʿĀshūr, Mujaz al-balāgha, al-Maṭbaʿa at-Tūnisyya, Tunis, première édition, s.d., p. 41 [http://ia801400.us.archive.org/18/items/BALAGHA_968//MOUJAZ.pdf] (consulté le 05/08/2017). Voir aussi : Ṭāriq Swaydān, émission Sir al-qurʾān, « Al-kalima al-qurʾānyya », 2015, http://islamiyyat.3abber.com/post/221981 consulté le 05/08/2017)

38 Dans son dictionnaire Tāj al-ʿarūs, Murtaḍā az-Zabīdī souligne que la plupart des théologiens (mutakallīm) ne font aucune distinction entre al-mashīʾa [≈ intention, résolution, volonté] et al-irāda [≈ volonté], bien qu’ils soient étymologiquement différents, car al-mashīʾa c’est « créer » [al-ījād], tandis qu’al-irāda c’est « demander » [aṭ-ṭalab].

39 Selon le linguiste Ibn Fāris dans Maqāyīs al-lugha.

40 Ibid.

41 Dans le Trésor de la langue française, on lit : « HIST. Chemise ardente, chemise de soufre, chemisesoufrée. Vêtement enduit de soufre que revêtaient les condamnés au bûcher. » [http://www.le-tresor-de-la-langue.fr/definition/chemise] (consulté le 07/08/2017).

42 L’énallage est une figure de style qui consiste à remplacer une forme grammaticale [un pronom, un nom, un temps verbal ou un aspect verbal] par une autre.

43 Noha Abdel Méguid, Rhétorique du texte traduit et Interprétation(s) du sens. Application sur une sourate du Coran dans les traductions de Régis Blachère et de Jacques Berque, Université de Paris III [Sorbonne Nouvelle], Université de Helwan, Mai 2011.

44 Claude Gilliot, « André Miquel, L’Événement », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, vol. 68 (1993) n° 1, p. 295.

45 Berman, La traduction et la lettre, op. cit., p. 61.

46 Abū Isḥāq Aḥmad b. Muḥammad b. Ibrāhīm al-Thaʿlabī, Al-Kashf wa-al-Bayān ʿan tafsīr al-Qurʾān [Tafsīr ath-Thaʿlabī], revu par : Ṣāliḥ ibn Namrān al-Ḥārithī & Nāṣir ibn Muḥammad aṣ-Ṣāʾigh, dirigé par : Ṣalāḥ Bāʿuthmān, Ḥasan al-Ghazālī, Zayd Mahārish & Amīn Bāsha, vol. 18, p. 322, Dār at-Tafsīr, Jiddah, 2015 (33 vols).

47 L’arabe utilise la forme du masculin pour les adjectifs (participes actifs) propres à la femme. Par exemple, pour dire : « enceinte », on utilise le masculin : حامِل (litt. : celui qui porte). De même, pour désigner la femme qui allaite sans être forcément en action, on utilise le masculin : مُرْضِع (litt. : celui qui allaite), et l’on réserve le féminin à l’expression de l’action de l’allaitement en train de se dérouler : مُرْضِعة (celle qui est en train d’allaiter). Ainsi, l’emploi du féminin, en signifiant l’action en train de se dérouler, accroît l’effet d’intimidation ; le verset veut dire que toute allaitante, même au moment de l’allaitement, délaissera de terreur son allaité.

48 Berman, La traduction et la lettre, op. cit., p. 63.

49 Ibid.

50 Ibid., p. 64.

51 Al-Qāsim b. Sallām, Lughāt al-qabāʾil al-wārida fī l-Qurʾān al-karīm [≈ Les langues vernaculaires évoquées dans le noble Coran], version électronique, site web Nidāʾ al-ʾĪmān, http://www.al-eman.com et

https://books.google.fr/books?id=xVzP_aMPm_MC&dq=هامدة+مغبرة+بلغة+هذيل&hl=fr&source=gbs_navlinks_s.

52 Berman, La traduction et la lettre, op. cit, p. 65.

53 Berman, La traduction et la lettre, op. cit., p. 66.

54 Idrīs Sulaymān Muṣṭafā, Al-muʿarrab aṣ-ṣawtī fī l-Qurʾān al-karīm [Les mots arabisés dans le noble Coran], Mossoul, 2006, p. 51.

55 Altūnjī, Muḥammad, Al-Muʿjam al-mufaṣṣal fī tafsīr gharīb al-Qurʾān [Dictionnaire détaillé des mots inusuels/obscurs du Coran], Dār al-Kutub al-ʿIlmīya, Beyrouth, 2003.

56 Muṣṭafā, Al-muʿarrab aṣ-ṣawtī, op. cit., p. 150.

57 Muṣṭafā, Al-muʿarrab, op. cit., p. 81 & 82.

58 Muṣṭafā, Al-muʿarrab, op. cit., p. 152.

59 Berman, La traduction et la lettre, op. cit, p. 67.

60 Ibid.

61 Berman, 1985 : 51. Cité par : Simeonidou-Christidou Teta, « Apprendre à (re)connaître le culturel à travers les textes traduits pour enfants », Ela. Études de linguistique appliquée, 2006/1 (no 141), p. 33-42. URL: http://www.cairn.info/revue-ela-2006-1-page-33.htm (consulté le 10/08/2017). Cité aussi par : Sébastien CÔTÉ, « Centre, périphérie et ethnocentrisme : la traduction française de Barney’s Version, de Mordecai Richler », Université de Montréal, communication présentée au colloque Odyssée de la traductologie, tenu le 21 mars 2003 à la Bibliothèque nationale du Québec (Montréal).

62 Le cheikh al-Qaraāwī souligne que le verset 41 de la sourate al-Ḥajj (« الّذين إنْ مكّنّاهم في الأرضِ أقاموا الصلاة وآتوا الزكاةَ وأمروا بالمعروف  » [à ceux qui, si Nous leur en donnons capacité sur la terre, accomplissent la prière, acquittent la purification, prescrivent le convenable et proscrivent le blâmable.]) indique le refuse de l’état laïque (entretien avec Qaraāwī, al Jazeera, le 05/02/2012, op. cit., http://www.aljazeera.net/programs/religionandlife/2012/2/9/الإسلام-والدولة-المدنية (consultés le 19/07/2017).

 

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